Mount Kimbie « No Man’s Land »

On dit de l’humilité qu’elle est un obstacle à la perfection. C’était vrai sur Crooks & Lovers, le premier album d’un duo s’effaçant jusqu’à disparaître dans sa grande cabine d’essayage. Mais via Cold Spring Fault Less Youth, le Mount Kimbie affirme son identité et ressemble désormais à un Mont Rushmore : un sommet avec deux visages bien distincts gravés dans la roche. Le Mont Kimbie atteint aujourd’hui une nouvelle cime (hoho) sans en faire une montagne (haha). L’occasion fait la larron : on leur consacre un focus.

 

 

 

La musique n’échappe à son lot de cruauté freudienne. En 2010, un bellâtre encore rookie – bass / post-dustep / signature R&S – du nom de James Blake remerciait à la première occasion Mount Kimbie d’avoir propulsé (ils jouaient même ensemble fut un temps) sa carrière. Et si James n’a pas tué ses pères, il les a clairement supplantés en à peine deux albums. Pourquoi ? Parce que Blake a finalement été le Mount Kimbie pour tous, le traducteur d’un langage complexe. Un refus de la facilité qui a longtemps laissé les Kimbie à la périphérie du succès populaire mais comme dirait un célèbre fournisseur de double foyer : « ça c’était avant« .

Depuis Crooks & Lovers, Mount Kimbie sait simplifier sans sacrifier, exprimer clairement sans divaguer et concire sa rencontre avec l’auditeur comme on se lancerait dans un match de boxe : en intensifiant et sachant être frappant en un rien de temps. « Notre premier LP nous a servi de point de repère pour s’en éloigner » affirme Kai Campos, l’hémisphère blond des Kimbie. « On est vraiment passés à autre chose mais il nous colle encore à la peau. On a du mal à s’en défaire. Mais le truc intéressant finalement, c’est qu’en le jouant live pendant aussi longtemps, on a découvert ce qu’on voulait créer par la suite. Même si on voulait tourner la page de ce premier album, c’est à force de le jouer en live que nous avons trouvé le squelette de celui-ci« . Foncièrement, c’est en côtoyant le public que l’on apprend à lui parler. Cela-dit, ça n’est parce que l’on sait parler au public qu’on lui raconte ce qu’il souhaite entendre. Cold Spring, c’est une main de fer dans un gant de velours, un album où « les bases sont prévues, les idées sont là mais où nous laissons une grande place à la surprise » clarifie Dom Maker. Ici, rien n’est vraiment prévisible et tout peut se voir comme un nouveau doigt d’honneur envers une époque qui produit (souvent) sur papier calque et se laisse sortir des albums coupe-faim. La géographie de Cold Spring est mouvante, Mount Kimbie fixe ses propres frontières pour les traverser, les déplacer, redéfinir ses contours et finalement les brouiller. Un jeu de piste abstrait qui déplace des montagnes jusqu’à envoyer Mount Kimbie dans un no man’s land.

« La conception de producteurs de dance a évolué et nous aussi en parallèle. Ça nous correspond toujours quelque part« . Si Mount Kimbie parle à l’esprit, touche l’âme et caresse le corps, il est étonnant d’entendre les deux se vouloir métronome pour mouvements du bassin tant (hors Made To Stray) cet album semble aussi à l’aise en club qu’une langouste dans un bouillon. Oui, au risque de se répéter : question localisation, Mount Kimbie n’est jamais vraiment à sa place. Post-dubstep (et pas du tout) avant le post-dubstep, les étiquettes se décollent aujourd’hui comme de vieux stickers. Et question affranchissement, si Mount Kimbie a aussi sût donner du souffle, du muscle et de la lumière à sa musique, c’est en se libérant du home studio. Kai : « Maintenant que nous enregistrons en studio, nous n’avons plus cette contrainte de ne pas gêner les voisins, de devoir jouer paisiblement et discrètement. Pourtant, malgré tout l’espace dont nous disposons, malgré tous les nouveaux équipements et les dispositifs auxquels nous accédons, nous continuons à produire de la même façon. On aime l’idée d’avoir conservé de l’humain dans l’album. Tu sais, on n’est pas très intéressés par l’idée de produire un album tonitruant parce qu’on a un panel technique qui s’élargit« . Du fait-maison de château en somme.  

Histoire de voir plus loin que deux folkeux faisant du dubstep, une simple explication du titre de l’album peut le résumer : « à vrai dire ça n’a pas un sens clairement défini » commence mollement Kai, avant de préciser : « c’était plus un résultat de nous deux contemplant et analysant ce que nous venions d’accomplir à la fin de l’album, c’est une impression d’ensemble. C’est comme cinq noms différents ou plutôt cinq chapitres différents en un même titre. Ils sont à la même place mais sont des entités propres et différentes« . Une œuvre bâtie sur cinq chapitres ou plutôt sur cinq piliers soutenant chaque titre de l’album. En étant Cold, Spring, Fault, Less et Youth, ce deuxième album développe une force tranquille ahurissante, sans aucune peur du vide et considérant les silences en tant que partie intégrante d’un titre comme on envisagerait le blanc en peinture. Mount Kimbie sait aujourd’hui jouer avec la gravité et larver ses pressions pour sculpter son relief. Et n’est-ce pas le propre d’un mont que d’en avoir ? Mount Kimbie aurait pu maintenir ses lauriers au chaud sous son derrière mais la prise de risque est ici considérable. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Alors, gloire à Mount Kimbie.