Chairlift : The Social Network

Jusqu’à présent lorsque l’individu lambda abordait le cas Chairlift, c’était soit pour louer la plastique de Caroline Polachek – moitié du duo dont la plupart des as de trèfle souhaiteraient piquer le coeur – soit pour nous remémorer que les deux Brooklyniens ont été de formidables commerciaux pour Apple avec « Bruises », titre mignon comme un sourire d’enfant qui accompagna des semaines durant les campagnes iPod. Tout ça était très pratique tant que nous n’avions pas grand-chose à dire sur leur musique. Mais faisons table rase du passé, ce deuxième LP « Something » a un arrière-goût de chef d’oeuvre et offre à Chairlift l’occasion d’honorer son nom (« Télésiège ») en atteignant les sommets. Ils sont formidables, nous les avons évidemment rencontrés.

En 2008, tandis qu’ils ne sont encore qu’étudiants/jeunes travailleurs précaires, les Chairlift voient leur vie basculer. Non, ils n’ont pas gagné au Banco, un de leur titre a été sélectionné par le chauve en col roulé le plus célèbres du monde (bon ça n’est surement pas lui qui les a choisit mais un stagiaire sous payé. Ceci dit je trouve l’image romantique) afin d’accompagner la campagne de son iPod Nano. Ce titre c’est "Bruises" comptine pop où Caroline Polachek nous contait ses bleus avec la même légèreté qu’un enfant joue à la marelle. Quatre ans s’écoulèrent, Chairlift s’allégea d’un membre sans pour autant gagner en légèreté. Something aurait pu être un second album s’asseyant sur les lauriers du premier, mais Chairlift préfère les piétiner et aborder le poids des médailles ainsi que leurs revers. " La saveur de ce deuxième album vient des adaptations du premier album, du changement dans les arrangements, de la nouvelle énergie et étrangeté s’en dégageant. Mais cet LP est aussi le reflet de la vie en tournée, avec tout ce que ça comporte de tristesse et d’isolation. Tu es quotidiennement en contact avec des centaines de personnes mais il y a toujours ce vide faisant écran entre nous. C’est pour ça que ce deuxième LP est beaucoup moins naïf que le précédent. Plus honnête aussi, dans le sens où il ne dissimule pas la dureté et les désillusions que nous avons subies ces dernières années". Fini les histoires de bluettes et les répétitions du dimanche, leurs titres s’inspirent "de nouvelles expériences intenses" et désormais Chairlift est devenu un CDI à temps-plein. "Maintenant nous avons conscience d’avoir un public et d’être considérés comme un groupe à part entière. La musique n’est plus qu’un hobby et nous devions bosser à plein temps sur ce deuxième album, ce que nous avons fait en louant l’arrière-boutique d’un magasin d’Antiquités où nous répétions tous les jours. Le fait d’être à deux pour bosser quotidiennement ta musique dans la même pièce c’est curieux, ça te donne la sensation d’être enfin adulte et d’entretenir un rapport à tes œuvres plus intense".

 


En quatre ans, Chairlift est un fruit devenu bien mûr mais qui n’est pas pour autant tombé loin de son arbre. En l’an 5 après MGMT, faire de la synth-pop à Brooklyn c’est s’assurer un test ADN systématique avec le duo pseudo-psyché. Simples cousins éloignés, amoureux de l’anti-cool et du kitsch late 80’s/early 90’s, les Chairlift n’ont pas la même ambition et n’utilisent pas les mêmes matières. Mais comme disait Philipe "on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas ses voisins" alors Chairlift a pris le parti d’en faire un atout comme le confie Caroline : "Concernant MGMT, notre proximité est purement amicale, absolument pas artistique. Je crois que dans l’esprit des gens si nous fréquentons MGMT, c’est que nous faisons la même chose. Ensuite, je ne crois pas qu’il y ait un Brooklyn Sounds, le public a pas mal de clichés ou de fantasmes à ce propos. Mais c’est vrai que Brooklyn peut donner l’impression d’être une grande famille artistique. Une famille dont nous aimons garder Chairlift isolé bien que nous bossions avec pas mal d’entres eux de temps en temps (Das Racist ou Class Actress entre autres, ndlr). Tu vois, ces collaborations sont comme un bain de culture, on tente quelque chose de nouveau avec eux et ça apporte fatalement dans nos travaux au sein de Chairlift. J’ai essayé des choses merveilleuses avec certains groupes que je ne pourrais pas réutiliser pour le mien parce que ça ne lui correspond pas. Donc paradoxalement, tu essaies des choses trop inconsistantes pour servir à Chairlift mais qui t’apprennent quand même et serviront par la suite à ton groupe".

 


Il n’y a peut-être pas de Brooklyn Sounds mais à une heure où un Brooklynien sur trois semble avoir un groupe – potentiellement commercialisable sous la seule caution de son quartier – il n’est pas mince affaire de se distinguer de son voisin de palier. Chez Chairlift, cela passe par "jouer avec leur amour du jazz de supermarché". Vous qui n’êtes pas très attentif  (et nous vous comprenons) lorsque vous poussez votre caddie au milieu des boites de raviolis, vous vous demandez sûrement ce qu’ils entendent par là. C’est très simple, voici notre schéma "C’est Pas Sorcier" : dans Something, Chairlift mélange l’huile et l’eau. Par conséquent, jouer avec leur "amour du jazz de supermarché"  c’est réconcilier pop pointue avec musique populaire et raffiner un certain kitsch en anoblissant le mauvais goût des 90’s. Une lente élaboration qui transforme en mets des produits ingrats, notamment par l’intervention de Dan Carey. Réputé pour avoir fait des merveilles avec Kylie Minogue ou Hot Chip, le producteur offre à Something une vivacité et une grâce à couper au couteau. Mais si Chairlift soigne sa présentation c’est qu’en cette vaste année électorale qu’est 2012, les Brooklyniens ont un projet plus grand que la pop à accomplir via leur deuxième album : rassembler. "L’Art qui m’intéresse a souvent attrait aux relations sociales entre individus. À une époque où la musique devient antisocial – elle te permet de t’isoler avec un casque, tu sors moins puisque tu découvres énormément via Internet – notre ambition est de créer de l’interaction entre les personnes. Nous voulons que le public danse dessus, se retrouve dessus, couche ensemble dessus…  C’est notre motivation : faire une musique qui connecte les individus". Chairlift plus efficace que Nokia et Meetic réunis? Ça n’est pas la question mais c’est gentil de l’avoir posée. Quoiqu’il en soit, si 2012 est censée mal finir, grâce à Chairlift, elle a très bien commencé.