A l?évidence, Dj Krush est celui par qui le Japon s?est doté à son tour d?une véritable scène hip-hop, créative et ancrée dans les bases. Certes, Takagi Kan et son crew légendaire Major Force avaient déjà en 1987 un certain rayonnement dans Tokyo et ses alentours, mais les rares b-boys nippons demeuraient malgré cela atomisés et sans modèles nationaux. Le hip-hop semblait une évolution contraire à un Japon modéré par ses traditions antiques?
C’est dans ce pays rythmé par les contradictions d’un urbanisme sauvage et d’une pensée spirituelle ancestrale que naît en 1962 Ideaki Ishii, le futur Dj Krush. Issu d’une famille assez modeste, il est très tôt confronté à l’échec scolaire et à la violence des rues nocturnes de Tokyo. Adolescent turbulent, il intègre un gang des rues durant plusieurs années et multiplie les actes de grande délinquance au cœur de la capitale. Cette expérience urbaine très sombre le marquera au fer rouge et influera à de nombreuses reprises sa musique.
En 1984, Ideaki Ishii tombe par hasard sur une projection du film hip-hop Wild Style. C’est la révélation. Grand-Master Flash sera désormais l’idole absolue du jeune homme assagi. Le jour suivant, il se précipite dans les boutiques pour s’acheter ses premières platines : Dj Krush sera son nom d’artiste. L’apprenti dj se penche alors sur les classiques américains, collectionnant les vinyls de Kurtis Blow et de Sugarhill Gang, et prête enfin attention aux disques soul-jazz de son père. Après quelques performances live avec des groupes de breakdance, Dj Krush créé en 1987 avec quelques amis le Krush Posse : l’un des tout premiers groupes de rap nippon. Mais si quelques fanzines relaient l’information, l’absence totale de culture hip-hop au Japon et l’hostilité des maisons de disque conduisent à la dissolution du Krush Posse en 1992. Entre temps, Dj Krush a laissé sa première trace discographique sur la BO du film TVO en 1991.
Mais Ideaki Ishii n’abandonne pas sa passion. Après deux ans de travail acharné, il présente en 1994 son premier album solo, le résolument hip-hop Krush paru sur Shadow Records. Ce disque moyen mais prometteur, combinant la technique du sample et les instruments acoustiques, a de l’écho jusqu’aux USA mais captive surtout l’Angleterre. C’est à ce moment précis que James Lavelle, patron du label Mo’Wax – dit trip-hop – et dénicheur de talents par delà les frontières, repère Dj Krush et lui propose une place chez lui. Flatté, le dj accepte et accouche cette même année 1994 de son second album, le cultissime Strictly Turntablized. Ce disque, l’un des fondateurs de ce que certains appeleront l’abstract hip-hop, érige le minimalisme en art : samples répétitifs, beats poussiéreux, scratches discrets sont les ingrédients de l’ouvrage, qui récoltera un succès considérable en Angleterre. L’année suivante, Dj Krush corse la donne sur Meïso en invitant des mc’s de renom sur certains morceaux, lors de productions de plus en plus atmosphériques. Sur cet album, le plus représentatif de l’artiste, s’enchaînent en effet des gens aussi incontournables que Guru, Dj Shadow ou The Roots. Sur Milight en 1997, on note une recrudescence des featuring de rappeurs japonais. L’album, moins inspiré que son prédécesseur et longtemps retardé, propose néanmoins de grands moments de hip-hop grâce aux collaborations de Mos Def ou Dj Cam. Dj Krush sort alors Holonic, un mix récapitulatif de ses trois albums parus sur Mo’Wax. Ses concerts deviennent internationaux et attirent un public aussi hip-hop qu’électronique. Certaines de ses pochettes de disques, notamment les éditions japonaises, passent à la postérité grâce au talent graphique de Futura 2000.
Dj Krush quitte son label, après quelques divergences avec James Lavelle. Après avoir déménagé dans une montagne en hauteur, il rejoint Sony Japan en négociant son indépendance artistique auprès de la maison de disques. Loin de s’être vendu, Dj Krush au contraire balance en 1998 ce qui restera comme l’un de ses albums les plus emblêmatiques, un pavé dans la mare : Kakuseï. Les featuring baissent en régime pour ce retour aux sources instrumental où les sonorités se font robotiques et froides et où seuls les scratches des X-Ecutionners semblent donner un tant soit peu de swing à cette longue série de morceaux expérimentaux. En l’an 2000, Ideaki Ishii publie un nouveau mix hip-hop underground, le fumeux Code 4109. Plus détendu, le prodige nippon décide de calmer ses ardeurs et de produire une galette plus accessible. Zen, sixième opus officiel de Dj Krush, adopte un style plus grand-public et met en stand-by les expérimentations : les mélodies sont plus évidentes, et les apparitions de Company Flow et Black Thought efficaces. 2002, le platiniste change de matériel et troque son PC contre un Mac pour travailler sur Laptop. L’évolution du son est notable, et comme pour étonner son public, Dj Krush opèrera un virage total dans sa carrière : son hip-hop mutant prend des airs de jungle et de drum’n’bass, ses percussions deviennent industrielles et son album Shinso impressionne par sa noirceur contenue. Une part non-négligeable des fans du dj rejette alors totalement cet album OVNI, et ce malgré les prestations impeccables de Antipop Consortium et Anticon. Comme quoi être célèbre et père de famille ne préserve pas d’un hip-hop plus hardcore.
En parallèle à cette activité discographique conséquente, Dj Krush a multiplié les collaborations, remixes et autres productions. Une discographie cachée – et passionnante – toute aussi étendue que ses albums officiels. Ayant à son palmarès une bonne douzaine de maxis underground où l’on croise en vrac des artistes aussi prestigieux que Dan The Automator, Attica Blues, Dj Spinna, Evil Dee ou Unkle, le génial nippon n’est pas ce que l’on peut appeler un débutant. En 1994, Dj Krush s’associe au guitariste acid-jazz Ronny Jordan pour un EP sur Island, le dispensable Bad Brothers. En 1995, il sort un album de mix des meilleurs titres abstract hip-hop du label Ninja Tune, le désormais célèbre ColdKrush Cuts. En 1996, Dj Krush signe un album de fusion entre le jazz et le hip-hop en compagnie du trompettiste japonais Toshinori Kondo : Ki-Oku devient un disque alternatif majeur au pays du soleil levant. En 2000 sort le premier album du collectif RYU que Dj Krush créé avec Dj Hide et Dj Sak : Ga ne brille pas par son originalité mais s’avère un bon prolongement de la discographie du dj. Toujours en 2000 paraît Boredom Mix, où Ideaki Ishii revisite façon hip-hop un album du groupe de rock psychédélique nippon éponyme. Enfin en 2001, Sony Japan publie Reload, une fabuleuse compilation des meilleurs remixes de Dj Krush, incluant des reprises d’artistes aussi divers que Miles Davis ou Herbie Hancock. On évoquera aussi le travail effectué par Dj Krush sur des titres ou remixes de Pete Rock, Biz Markie, Dj Vadim et ses morceaux inédits sur les anciennes compilations Mo’Wax.
Dj Krush a également été le médium d’un certain nombre d’artistes hip-hop japonais qui se sont fait connaître grâce à lui. Par ses shows et ses featuring, le dj réputé s’est avéré être un tremplin pour de nombreux groupes nationaux, rôle de découvreur qu’il assume encore aujourd’hui. Au rang de ceux qui ont bénéficié d’un coup de pouce de sa part, on peut noter : Boss The Mc – leader actuel de la scène rap au Japon au même titre que I Am en France –, Twigy – étoile montante –, Dragon Ash – sorte de Rage Against The Machine nippon –, Kemuri – collectif hip-hop flou parmi lequel domine Dj Yas et dont est membre Dj Krush –, Aco – chanteuse de R’n’B –, Tha Blue Herb – sans conteste le tout meilleur groupe rap du continent asiatique – ainsi que de nombreux musiciens adeptes d’instruments traditionnels japonais.
Ce mélange entre la culture des rues de New-York et celle des collines d’Osaka demeure le qualificatif typique de Dj Krush. Comme il le dit lui-même : « Je suis très reconnaissant au hip-hop pour tout ce qu’il m’a donné, j’y suis très attaché, mais j’essaie depuis toujours de faire une musique que personne d’autre ne fait ». Rares sont les artistes qui peuvent se targuer d’avoir une discographie aussi irréprochable que cet homme parti de rien et qui compte aujourd’hui des dizaines de milliers de fans partout dans le monde. Et surtout, rares sont les artistes capables d’acquérir un succès critique et commercial considérable sans pourtant jamais diluer leur musique. Là où Dj Shadow, Dj Vadim et Dj Cam ont plusieurs fois vacillé, Dj Krush n’a jamais flanché. Enfin, on attend la suite.
Discographie :
TVO Remix (1994) > Maxi
Krush (1994) > Album
Big City Lover (1994) > Maxi
Bad Brothers (1994) > EP feat. Ronny Jordan
Strictly Turntablized (1994) > Album
Kemuri (1994) > Maxi
A Whim (1994) > Maxi
Meïso (1995) > Album
Another Maze (1995) > Maxi
Meïso (1995) > Maxi
Only The Strong Survive (1995) > Maxi
ColdKrush Cuts (1995) > Album Mix
Ki-Oku (1996) > Album feat. Toshinori Kondo
Milight (1997) > Album
Selektions (1997) > Maxi
Holonic (1997) > Album Mix
Kakuseï (1998) > Album
Final Home (1998) > Maxi
Hardware (1998) > Maxi feat. Black Thought
On Da Block (1999) > Maxi feat. Pete Rock
Boredom Mix (2000) > Album Mix
Code 4109 (2000) > Album Mix
Ryu (2000) > Maxi feat. Ryu
Ga (2000) > Album feat. Ryu
Never To Soon (2000) > Maxi feat. Ryu
Tragicomic I (2001) > Maxi
Tragicomic II (2001) > Maxi
Zen (2001) > Album
Day’s End (2001) > Maxi
Blue Fantasy (2001) > Maxi feat. Komuro
Reload (2001) > Album Compilation
Shinso (2002) > Album
Supreme Team (2002) > Maxi
+ Apparitions sur : Royalties Overdue, USSR Reconstruction, Headz II, Nigo Collection, Dub Lounge III…