Après avoir frayé avec le groupe parisien ATK, Tacteel revient, en solo, aux manettes d’un prodigieux EP instrumental dont les orchestrations d’un brio insensé, révèle un des futurs producteurs à surveiller de près. Un gros plan sous forme d’interview où il nous explique son cheminement musical et nous fait partager l’histoire de cet opus brillant et inventif.
Après avoir frayé avec le groupe parisien ATK, Tacteel revient, en solo, aux manettes d’un prodigieux EP instrumental dont les orchestrations d’un brio insensé, révèle un des futurs producteurs à surveiller de près. Un gros plan sous forme d’interview où il nous explique son cheminement musical et nous fait partager l’histoire de cet opus brillant et inventif.
Tacteel ? Première aparition? Premier truc concret ?
Album d’ATK »Heptagone » sorti en 98 chez Musisoft. Ca faisait pas mal de temps que j’étais avec ATK, j’ai fait parti du noyau dur qui a ensuite abouti au collectif ATK dans lequel on était une vingtaine. A la base y’avait un groupe qui s’appelait la section lyricale et qui regroupait Cyanure, Kesdo des Refrés, Axis et moi. J’ai donc d’abord rencontré ces gars là, je suis devenu leur dj et après on est devenu ce gros collectif. On est passé de 25, avec pas mal de maquettes, à ATK, groupe de 7 personnes. j’étais dj et je me suis mis à la production. Pour l’album j’avais pas mal de productions et j’ai reussi à en placer deux, le morceau solo de Cyanure »20 ans » et le morceau solo de Test »7ème sens ». J’ai fait les scratches de l’album et j’ai assisté Axis dans le co-mixage de l’album. Lui connaissait mieux les machines que moi. Concernant la production, j’avais depuis pas mal de temps des idées de sons, un jour Axis m’a prété un sampler et j’ai eu envie de continuer dans ce délire de son, j’avais pas vraiment l’envie d’être simplement un dj de scène ou seulement de scratches. C’est pas forcément la partie qui m’interesse le plus. C’est plus la production qui m’intéresse. Avec les quelques sous que nous a rapporté l’album d’ATK, je me suis acheté les rudiments, un sampler.
Tu bosses sur quoi comme matos ?
Akai S3000 et Cubase.
Qu’est ce que t’as apporté l’expérience ATK ?
ATk m’a apporté plein de trucs, le fait de travailler en studio, une première approche des machines ça c’est hyper intéressant. le fait également de travailler avec des groupes, de conjuger les personnalités, des belles rencontres humaines comme avec Cyanure. Et aussi une bonne première expérience assez typique du rap français, assez riche et trés utile.
Est ce que cette expérience t’as amené à ta saturation du rap français ?
D’une certaine façon. Axis et moi on avait pas trop la même façon de voir les instrus, c’était un secret pour personne. ca m’a permit de définir de plus en plus ce que moi j’avais envie de faire au niveau du son et forcément ça a également amené une certaine saturation du hiphop français que je trouvais, du moins dans le cadre du groupe, un petit peu sclérosé. Sclérosé aussi dans la mesure où ATK, c’était 7 têtes, et tourner 7 têtes dans la même direction, c’est quasiment impossible. On a donc tous fait des concessions. Et arrive un moment où ça ne marche plus. Le premier a s’en rendre compte a été Freko. Nous on a essayé de continuer en gardant un petit espoir. Tony (Antilop SA) a aussi pris ses distances. Puis Cyanure et moi.
Tu étais complétement libre dans tes sons ?
Pour les deux sons qui sont sur l’album, oui totalement.Mais il faut préciser que j’en avais fait d’autres qui n’ont pas été retenu.
Ton préféré ?
Au niveau de la réalisation, de la production, du mixage, du rendu final, je trouve »7éme sens » imparable. Ce que j’aime dans le morceau de Cyanure, qui a été plus dur à mixer et dont le résultat final ne correspond pas exactement à ce que j’avais en tête, c’est le contenu et le fait qu’il soit complétement représentatif de Cyanure aussi bien en 98 qu’aujourd’hui.
Fin D’ATK pour toi ?
99. Entre temps j’ai fait du son tout seul dans ma chambre. Comme je n’avais personne, je veux dire un groupe, à qui faire écouter mes sons, je suis plus parti dans un délire personnel. La seule personne à qui ça devait plaire c’était moi.
Le duo avec Cyanure ?
Il s’est fait un peu par la force des choses. Malgré la dislocation du groupe on a continué à se voir, de plus en plus. Artistiquement on se rejoint sur plein de point. La direction que je prenais musicalement correspondait d’une certaine façon à celle que prenait Cyanure lyricalement. Ca ne s’est matérialisé que maintenant avec notre morceau sur la mix-tape de la Contrefaceson. Dj Spoon, un des dj de la Contrefaceson m’a proposé de faire un morceau avec Cyanure, j’ai trouvé l’idée mortelle. Parallèlement avec Cyanure on bosse sur un projet qui s’appelle L’Atelier, dans lequel on retrouve également Tekilatex de TTC, James Delleck, Fuzzati du Klub des Loosers et Para One pour les sons.
En fait il faut savoir qu’en principe s’il y avait une suite pour Cyanure après ATK, c’était au sein du duo Cyanure/Freko qui s’appelle Légadulabo. Featuring de Cyanure sur l’album solo de Freko puis éventuellement la préparation de l’album des Légadulabo.
Donc tu n’as rien à voir avec Légadulabo ?
Non. Je ne fais aucune production dessus.
Donc le duo Tacteel/Cyanure n’existe pas officiellement ?
Dans le cadre de la mix-tape et de L’Atelier, ça s’est matérialisé dans un taff à deux, à l’avenir ca va se rematérialiser dans d’autres projets que nous avons en commun.
Cyanure intervient :
On avait également bossé sur une instru à toi pour un solo qui s’appelait »Pour ».
On a véçu la fin d’ATK de la même façon. Vraiment écoeurés de voir comment l’histoire était parti en eau de boudin et que le groupe méritait grave mieux vu le potentiel de pas mal de gens qui le composaient.
L’idée du EP est venu comment ?
A force de faire du son. J’avais complétement zappé l’idée de faire du rap français. Pendant pas mal de temps les gens me disaient »tes instrus sont bien mais je ne me voit pas poser dessus » ou » c’est bien mais j’imagine pas un français mais un rappeur ricain se poser dessus ». Comme les gens ne se voyaient pas poser dessus et que je ne connaissais pas d’américain, je me suis retrouvé à bosser tout seul!
Et puis quand tu as un peu envie d’explorer les possiblités de tes machines, de ta tête et de tes disques, tu arrives à faire des instrus qui se suffisent à elles-mêmes. Pas mal de mes instrus, je les ai fait en ayant à l’esprit que cela soit des morceaux de musique avant tout. Pas des instrus au sens, refrain, break, caisse clair, et le mec qui se pose dessus.
Le plus ironique c’est que j’ai fait ça pour moi en voulant simplement que ça existe sur un format vinylique. Et après j’ai rencontré par l’intermédiaire de Cyanure tous les gars qui gravitaient autour de l’emission Grek-Frites sur Canal Web, Tekila, Fuzzati, TTC, ParaOne et tous ces gens ont trouvé mon travail intéressant et ont commençé à vouloir se poser dessus et paradoxalement ces morceaux sont devenus dans mon esprit »rappables ». Le dernier morceau du EP étant l’instru du morceau de Cyanure sur la mix-tape La Contrefaceson.
Cela a été des rencontres riches et décisives. Ca m’a grave redonné confiance dans le fait que mon travail pouvait s’inscrire dans un cadre hiphop. Même si je me fous de savoir quelle étiquette on peut me coller. Disons que je me suis dit que je n’etais pas seul dans mon délire.
Question obligatoire….les influences ?
Dortor L (qui produisait les morceaux d’Assassin au début des années 90 ndlr). Quand je suis rentré en stage dans le label Jive, ils venait de signer Doctor L. Les disques de Doctor L, surtout le dernier, ont tourné en boucle pendant trés longtemps. Je trouve le dernier vraiment fou. L’album underrated par excellence. Les gens sont passés à côté et n’ont pas compris parce qu’ils ont voulu le catégoriser. hiphop? électro? folk? world?…. Les gens aiment se rassurer particulièrement en France, une forme de sécurité en se disant »ah ça j’aime pas d’emblée parce que c’est telle ou telle catégorie ». Alors que le plus important pour moi, c’est d’écouter un truc en te demandant: »est ce que ça me plaît?, est ce que ça évoque quelque chose pour moi?, est ce que ça dégage une émotion et me montre que le mec ne se fout pas de ma gueule?"
Ses morceaux sont-ils rappables ?
Je pense que oui. Même si d’après ce que je sais, il a plus trop envie d’avoir affaire avec le milieu du rap. Je trouve que ses instrus ont vachement d’espace. Beaucoup d’air. J’ai eu l’occasion de le côtoyer dans le cadre du boulot, il savait que je faisais du son, mais j’ai jamais cherché à jouer les sucker et à aller le voir pour lui faire écouter mes trucs. Il est juste dédicacer dans mon EP parce que j’aime beaucoup ce qu’il fait et dès que mon disque est pressé je lui en file un!
Sinon j’ai bouffé du hiphop old school, beaucoup de free jazz, de jazz rock, de funk.Y’a des sonorités que je reprends, pas des grosses mélodies ou des boucles. En général je rejoue tout.
Pour en revenir aux influences je dirais Dj Shadow, toute cette frange d’artistes qui sont à la lisère du rap et du reste que ce soit l’électro ou ce que les gens, dans la panique de mettre une étiquette, ont appelé de »l’expérimental ».
Company Flow bien sûr surtout leur EP instru »Little Johnny », ceux que font les rappeurs et El-P avec le label Def Jux. Même si je tiens à dire que les sons de mon EP ont été fait bien avant tout cet engouement, ce buzz autour de Cannibal Ox et compagnie.
Antipop Consortium. J’aime ces instrus de l’espace, qui viennent déstabiliser les gens même si je ne me targue pas d’arriver à faire pareil. Je suis bien loin derrière mais ça m’a bien sûr influencé.
Dan the Automator, Public Enemy. Plus récemment Prefuse 73. On m’a d’ailleurs fait remarquer que mon morceau sur la compilation Projet Chaos ressemblait à un morceau du dernier album de Prefuse. Ca m’avait bien fait rigoler sachant que j’avais fait mes sons bien avant que l’album ne sorte.
On a vraiment l’impression que t’as la hantise que ton morceau paraisse trop simple. On sent que tu aimes les retoucher encore et encore pour qu’ils paraissent plus complexes et destructurés?
C’est aussi lié au fait que techniquement en faisant le ep j’ai appris plein de trucs. Je me suis rendu compte qu’on pouvait pousser les machines, aussi bien le logiciel de séquencing que le sampler beaucoup plus loin que couper, boucler, pitcher, breaker…c’était hyper agréable de techniquement essayer des nouveaux trucs. Je reviendrais peut être à la boucle mais c’est plus trop mon délire. La boucle c’est un peu une faute de goût. Dan the Automator fait ça très bien. D’un point personnel j’avais envie d’apporter une autre forme d’émotion. En plus les rappeurs avec qui je travaille en ce moment, TTC par exemple pour qui je fais un instru pour leur album, Cyanure ou les gens de l’Atelier (dont »Old real shit » sera l’instru d’un de leurs morceaux) sont enclins à aller dans mon délire et à poser sur mes sons. Raison de plus pour moi de continuer dans cette voie et de pousser le bouchon encore plus loin…
Comme tu travailles tes sons ?
Parfois c’est juste un son ou une caisse claire, une note, une demi-note…et je me dis »Tiens si j’essayais d’en faire quelque chose… » Je fais aussi du sample aléatoire. Je fais tomber la tête de lecture sur le disque au hasard, j’enregistre sur le sampleur, je vois ce qu’il y a et je pars comme ça. Mais dans 80% des cas je pars quand même avec une idée même si à la fin je me rend compte que ça n’a plus rien à voir. Même au niveau des bpm, je peux commencer à 90 et finir à 110 ou à 61…c’est complétement l’aventure. La boucle te bloque quelque part, elle est moins maniable, et te laisse moins d’espace et t’inspire déjà vachement. Elle t’impose déjà un certain type de délire.
Tous les morceaux sont rejoués, ou tu prends quand même des samples de quelques secondes ?
Y’a trois/quatre micro boucles mais le reste est rejoué. Je séquence tout et je trifouille.
Y’a des scratches sur ton EP ?
Oui. Pas des masses. Sur le dernier morceau. Sur l’intro. le deuxième un petit peu. Sur le quatrième morceau, on retrouve le seul invité du EP qui est Dj Shone, du crew Audiomicid, un pote dont le style, à la fois trés technique et trés personnel, chose rare, m’a toujours fait halluciné.
Niveau dj’ing, t’apprécies le travail de qui? Kid Koala ?
J’ai jamais écouté ce qu’il fait. On m’en a dit le plus grand bien, faudrait que j’écoute ce qu’il fait. Je connais juste les scratches qu’il a fait sur l’album de Deltron 3030 (le projet de Dan the Automator avec Del) et qui sont trés bien et là encore trés personnels.
En France, je citerai Dj Feadz, Kodh, Shone (Le collectif Audiomicid, ndlr) qui ont l’intelligence de ne pas se limiter à de simples figures de styles.
Q Bert bien sûr un précurseur, même si c’est pas le même délire que moi. c’est un technicien. D-Styles aussi, certains trucs de Dj Krush. La claque restant bien sur Dj Shadow. Je pourrai te citer aussi Terminator X mais pour d’autres raisons. dans la catégorie producteur/Dj, y’a Madlib qui assurent lui même ses scratches sur son album »The Unseen ». Je suis assez dans le même délire que lui dans la mesure ou j’essaye d’apporter à mes scratches une touche personnelle, une ambiance, une émotion, même s’ils ne sont pas super techniques.
Tu peux expliquer le titre de ton EP, »Butter for the fat » ?
Ca veut dire en argot »de l’argent pour les riches ». J’étais en train de chercher un titre pour l’album, à la recherche d’un truc abstrait, avec des supers sous entendus, troisième degré et tout (rires)! Je trouvais des trucs horribles à la fin. Et puis depuis un mois j’avais noté quelque part trois lignes d’un morceau de Public Enemy
»Like this, like that/ Butter for the fat/ you kill my dog and i slay your cat ». C’est sur le morceau »Terminator X to the edge of panic ». Référence pour moi. Clin d’oeil et hommage au meilleur groupe de rap!
Et les titres de tes morceaux ?
Souvent un lien avec des voix que je scratche ou que je reprends sur mes morceaux et qui disent ces mots là… »baby yé », »wait a minute »… »chien jaune » parce que c’est un métier que j’aurai aimé faire, »EFR part 2 » clin d’oeil à un vieux morceau old school qui s’appelle »Escape from reality » d’un groupe qui s’appelait Positively Black.
Ta pochette…autre point commun éventuel avec Doctor L quand on voit le soin qu’il apporte à ses visuels.
Justement j’avais eu l’occasion de voir comment il travaillait avec son graphiste. Et ça m’avait beaucoup intrigué. Je trouvais ce travail important et vrai. Ca avait un sens. Je viens de nul part. personne ne me connait. Quitte à mettre quelque chose dans les bacs autant donner un beau support aux gens. J’ai bossé avec un graphiste RA (www.raspage.com) que j’ai rencontré pendant que je faisais les sons. Je lui ai laissé carte blanche en lui disant simplement de ne faire aucune allusion au monde des dj’s genre, bacs de vinyls, platines, tables de mixage…
Là aussi, on ressent une petite touche, dans la couleur, l’atmosphère intemporelle, froide et limite inquiètante des pochettes de Co-Flow, Cannibal Ox en particulier ou Aesop Rock.
C’est marrant parce que là aussi, la pochette a été finaliséé bien avant que l’album de Cannibal Ox ne sorte. Après lui et moi on kiffe les mêmes sons. Company Flow en particulier. C’est une pochette évidemment à mille lieux des ambiances hiphop habituelles. Ce que j’aime c’est qu’elle suscite une réaction. Quelque qu’elle soit, bien que je reconnaisse sa noirceur, qu’elle inspire quelque chose, c’est le principal.
Et pourquoi t’écoutes si peu de rap français ?
Parce qu’il n’y a rien qui m’ait surpris. j’ai recommencé à écouter du rap français en tombant sur »Subway » de TTC. Que ce soit du classique, du rock ou du hiphop j’aime être surpris. Genre »venez on essaye de faire autre chose que ce qu’on voit tout le monde, on essaye d’avancer un petit peu, on essaye de pas systématiquement reproduire le même format..du genre…et si on faisait un morceau sans violon ». les rappeurs que je fréquente en ce moment, TTC, La Caution, James Delleck, Fuzzati et même la structure Colleckt’or (Donkishot, Octobre Rouge), dont sont proches les dj’s d’Audiomicid, vont pour moi dans le bon sens dans la mesure où ils osent un certain nombre de choses. Ils ont de l’humour et des tentatives artistiques.
Y’a une limite à l’expérimentation sonore pour toi, où peut-on tout faire en se foutant complétement du côté mélodique ?
Dire qu’il y a des limites c’est être réactionnaire. on est sur un projet Para One et moi où on défonce complétement le concept de mélodie.La seule limite c’est l’écoute des gens. J’apprécie beaucoup la notion de mélodie, pour moi mon EP est mélodieux. Je ne prone pas le bruitisme à tout va.
Un exemple de bruitisme réussi ?
Le maxi d’High Priest (Antipop Consortium).Y’a plus vraiment de mélodie, c’est de la grosse saturation même si ça continue à être rapable…
Les derniers albums, maxis qui ont provoqué une émotion dans ton oreille ?
L’album de Cannibal Ox. C’est même romantique. le magazine Wired disait d’ailleurs que Def Jux avait une vision romantique du hiphop.
MF Doom »Doomsday », un choc! Je réecoute pas mal de jazz et de classique en ce moment également.
Tes albums intemporels, imparables et éternels:
Public Enemy »Fear of a black planet » 1990
Ultramagnetic Mc’s »Funk ya head up » 1992
Ice Cube »Death certificate » 1992
Above The Law »Black mafia life » 1992
Company Flow »Little Johnny…. » 1999
Scotty Yard »The return of Kill Dog E » 1999