MAIS ATTENTION, MÉDINE N’A PAS L’INTENTION DE SE RENIER ET RESTERA L’ÉTERNEL PROVOCATEUR QUE L’ON CONNAIT.
Le disque à peine disponible à la vente, voilà qu’un documentaire intitulé « Médine Normandie », diffusé sur france.tv slash, écrit par Matthieu Pécot et réalisé par Pierre-Philippe Berson, vient nous couper l’herbe sous le pied pour écrire notre chronique. En réalité, il vient nous faciliter la tâche tant il parle d’une manière complète de la préparation du nouvel album « Grand Médine » mais aussi du parcours et de la personnalité de Médine. Cela ne pouvait qu’être indissociable.
Le monde du rap connait le rappeur du Havre depuis longtemps et beaucoup l’ont adoubé. Le grand public le connait pour les polémiques de paroles jugées favorables à l’islamisme et pour la programmation de concerts au Bataclan en 2018 alors que les blessures des attentats de 2015 étaient encore grandes ouvertes. Vous connaissez l’histoire.
« Médine Normandie » (et par extension l’album) veut passer un message : Médine est résolument tourné vers le présent et l’avenir. Dans le documentaire, il remet d’abord le contexte sur la table en revenant sur sa jeunesse où il avait choisi l’Islam pour fuir la dureté de la rue, lui qui avait grandit dans une famille non pratiquante. Ensuite, il assume son statut de provocateur et le fait de s’en être pris plein la gueule pour cela, au point d’avoir reçu des menaces de mort de la part de groupuscules d’extrême droite. Enfin, il parle de l’album, son 7ème format long, et de ses ambitions d’aller un cran au-dessus, celui qui lui permettra de gagner « un disque d’or ». « Grand Médine » n’est pas de la rédemption. Il a la mission d’installer le rappeur là où devrait être, tout en haut de la hiérarchie.
La forme du projet est pour ainsi dire prioritaire. A commencer par cette notion de « Grand Médine » qui renvoi au projet du Grand Paris, programme pharaonique d’aménagement de la capitale et de sa grande couronne. Mais pour Médine, rien ne se fera sans la banlieue comme il le proclamait dans le « Grand Paris » de 2017 (sur l’album « Prose Élite ») et comme il le rappelle aujourd’hui sur « Grand Paris 2 » : « La banlieue influence Panam, Panam influence le monde ». L’artiste se projette et nous avertis qu’il fera partie de l’avenir tout en continuant à installer les fondations.
Le rap est une affaire de famille. Et Médine a fait le casting qui va lui faire gravir les marches. Si le documentaire fait intervenir des acteurs de la vie publique hors – hip hop comme le géopolitologue Pascal Boniface (fondateur de l’Iris, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), le député LREM Sacha Houlié et la rédactrice en chef de la presse internationale pour le New York Times Suzanne Daley, on y voit également Orelsan, un autre rappeur venu de Normandie. On se rappelle que ce dernier fût vivement critiquer et traduit en justice pour ses paroles misogynes il y a un peu plus de 10 ans (il fût relaxé en 2016). Tout cela ne l’avait pas empêché de ravir 5 Victoires de la Musique, dont 3 pour son dernier album « La Fête Est Finie ». Médine y voit peut-être des points communs : un parcours sinueux, des polémiques vives mais la gloire au bout.
Coté invités sur le disque, on notera la présence des « rappeurs inoffensifs » Big Flo & Oli sur « Tête à Coeur ». Pas de polémique avec les frères toulousains mais un gros succès auprès du grand public et des médias. Eux cherchent à paraitre plus méchants alors que Médine s’imprègne des bons usages du succès mainstream. Échanges de bons procédés.
Pour le reste, Médine est allé chercher tous les styles et toutes les générations. Avec Oxmo Puccino, il assure la « vieille garde » de référence. Avec Hatik (qui a explosé avec la série « Validé ») et Soso Maness, c’est la génération déjà bien installée. Avec Remy, YL, Koba LaD et surtout Larry (du haut de ses 18 ans, il est la relève du Havre), c’est l’avenir. Tout est orchestré pour que Médine se place au centre de ce tout. Le discours officiel est rodé : ils sont tous fiers de figurer sur son album.
Si le nombre d’invités semble important, Médine s’est en réalité réservé la majorité de l’espace d’expression. Sur les 9 guests (Big Flo & Oli comptent pour un), 5 apparaissent sur un même morceau. 12 morceaux sur 17 nous laissent donc seuls avec lui et c’est le kiff.
Les punchlines fusent, comme d’habitude. La provocation et la conscience se mélangent encore bien. S’il peut-être offensif comme sur « FC Grand Médine » (« J’étais là sous Giscard, je s’rai en là sous Marine » et « Pas rentré dans leurs cœurs par la porte de l’amour, J’vais rentrer dans leurs corps par la porte de la force ») ; sur « HLM Grand Médine » (« Si j’enterre la hache, c’est dans leur crane ») ; ou encore sur « FAQ » (« Demandez moi si je peux arrêter de provoquer. Pour moi une idée qui n’est pas dangereuse, ça n’est pas une idée »), sans compter « Enfant du Destin – Sara », son manifeste en faveur des Ouïghours en Chine, le rappeur fait tout de même preuve de recul et d’émotion.
Le recul, on le retrouve quand il parle de sa condition d’artiste en se considérant par définition comme un « Imposteur » ou sur « RAY » dans lequel il est tiraillé par ses démons. L’émotion, elle, vient à chaque fois où il parle de sa famille qui le soutient mais qui a souffert des polémiques. « Tue l’Amour » parle de sa relation avec sa femme, connue sur les bancs du bahut. Plus touchant encore avec « Allons à l’Essentiel » dont l’idée est de simuler la disparition de cette dernière pour permettre au rappeur de témoigner tout son amour à sa moitié. Il n’oublie pas non plus ses enfants et plus particulièrement son fils Massoud qui vient rapper sur « Barbapapa ». L’ainé de ses 3 enfants réitère son expérience du précédent album (il était apparu sur « Papeti ») et fait valoir son cas de « arabian sangokan » (sa mère est d’origine laotienne) dans la ville.
Médine a l’habitude de mettre en avant sa famille, depuis qu’elle fût elle aussi mise en danger par des menaces extrémistes. Tous ensemble ils se mettent régulièrement en scène sur des story et force est de constater monsieur les détracteurs qu’il n’y a rien à signaler avec une quelconque radicalisation au quotidien.
Tout au long de cette chronique, il est vrai qu’on a beaucoup mis l’accent sur la stratégie de l’album, au risque de faire passer Médine pour un arriviste comme on peut en croiser beaucoup de nos jours, notamment sur les réseaux sociaux.
Il ne s’agit pourtant que d’ambition bien placée puisque la promesse d’un bon rap est présente. L’histoire nous dira vite si « Grand Médine » deviendra un classique.
L’album « Grand Médine » vous attend sur le principales plateformes.
TRACKLISTING :
01. Ignorez l’Intro
02. FC Grand Médine
03. Grand Dla Tess (feat. Hatik)
04. God Complex
05. Voltaire
06. Grand Paris 2 (feat. Pirate, Oxmo Puccino, Koba LaD, Larry & Remy)
07. HLM Grand Médine
08. A l’Essentiel
09. Quartier VIP (Soso Maness)
10. Enfant du Destin – Sara
11. Barbapapa
12. Reste (feat. YL)
13. Ray
14. L’imposteur
15. Tue l’Amour
16. Tête à Cœur (Big Flo & Oli)
17. FAQ
Label : Mind
Date de sortie : 6 novembre 2020
Durée : 56 minutes