LA COLLABORATION ENTRE TOM MISCH ET YUSSEF DAYES REPRÉSENTE LA QUINTESSENCE DE LA SCÈNE ORGANIQUE ANGLAISE.
Parfois, il y a des noms qui vous inspirent confiance d’emblée, qui vous rassurent même. Et quand deux d’entre eux sont associés, difficile de retenir sa joie. Sans être des légendes de la musique, Tom Misch et Yussef Dayes sont de ceux-là. Les parcours du premier, 25 ans, et celui du second, 27 ans, s’inscrivent complètement dans cette nouvelle scène anglaise foisonnante et créative qui a su magnifier et surtout moderniser plein de styles de musique et principalement le jazz dit progressif. Un courant qui fait même danser en club aujourd’hui, enfin avant le confinement.
Tom Misch s’était popularisé avec son premier album « Geography » en 2018 en réunissant notamment De La Soul, Loyle Carner et Goldlink. Son sample de « My Lady » de The Crusaders (que l’on connait sur « La Fièvre » de NTM) avait été judicieux sur le tube « Water Baby ». Yussef Dayes avait lui marqué les esprit avec son duo Yussef Kamaal aux côtés de Kamaal Williams. Un projet éphémère mais qui aura eu le temps de mettre le batteur sur le devant de la scène.
Affirmer que leur rencontre est celle de deux mondes, est finalement incorrecte. En musique, les britanniques n’évoluent pas vraiment dans des carcans et les passerelles sont naturelles. On se souvient d’un Don Letts, rasta qui avait participé à l’émergence de la scène punk. On a aussi l’exemple des ouvriers du nord de l’Angleterre qui se retrouvaient en boite pour danser sur de la soul. Du coup, voir Misch et Dayes travailler ensemble est tout sauf surprenant.
Par contre, on doit leur rencontre à la destinée. Quand on est de la même génération et qu’on a grandi dans le même coin (ici South London) et qu’on apprend à jouer d’un ou de plusieurs instruments très jeune, on ne peut que se croiser à un moment donné. Pour le duo du jour, ce n’était pourtant que furtif. Tom Misch se souvient qu’il avait vu son partenaire jouer à l’école quand il avait 9 ans. Pas de quoi coucher sur le papier un scénario de film épique mais c’est déjà un signe du destin. On suppose que les deux artistes se sont croisés depuis, ayant des connaissances en commun. Mais c’est en 2018 que le contact s’est fait à l’occasion de la soirée de sortie de l’album « Geography » qu’organisait Misch et à laquelle Dayes était convié.
On ne va pas se mentir. Sans tirer des plans sur la commette, quand des artistes se rendent dans des événements « mondains », c’est toujours pour serrer des pinces et se montrer. On ne sait pas si l’un ou l’autre avait planifié quelque chose mais force et de constater que cette soirée fût le départ de ce qui allait suivre. Depuis, le mecs sont devenus amis et il en va de même pour leurs parents. Si c’est pas mignon tout ça.
Les fiançailles prennent donc la forme de cet album « What Kinda Music » qui pose en effet la question de savoir quel style s’en dégage. Et rien qu’à l’énoncé de ce titre et en connaissant le background des artistes, on se rend compte qu’aucune étiquette n’est de mise. Bien-sûr la signature sur Blue Note est un indicateur mais pas plus que ça. L’association est complémentaire. Le coté pop de Misch fait rentrer de la lumière dans l’appartement et la technique de Dayes donne une certaine précision. Ensuite, ce n’est que de la création pure, dénuée de messages militants, juste le feeling de deux musiciens aguerris qui ne veulent plus que jouer ensemble.
Le clip de « Lift Off » en est la preuve puisque le clip se contente de nous les montrer dans le cadre d’une session studio, seuls avec néanmoins la présence du bassiste Rocco Palladino, digne fils de Pino Palladino. Un kiff qu’ils avaient fait perdurer avec le jam « Kyiv » (ils étaient en Ukraine) qu’ils ont décidé de rajouter à la tracklist tellement le morceau était bon, peut-être meilleur que son prédécesseur.
Tout le reste n’est que les joutes musicales entre les deux protagonistes. A l’écoute des morceaux, on les imagine bien se regarder en permanence pour se donner le change. Pourtant, pas de prise de becs, pas de recherche de domination, juste une fusion remplie d’alternances au service de l’émotion. Tantôt, la batterie et la guitare viennent créer une certaine tension (« What Kinda Music », « Festival », « Sensational », « Storm Before The Calm »), tantôt ils participent à une certaine luminosité (« I Did It For You », « Last 100 »). La voix de Misch faisant office d’instrument supplémentaire. Et puis, il y a les instants apaisés (« Nightrider » avec Freddie Gibbs, « Tidal Wave »).
Conquis depuis le début de l’aventure, on ne pouvait pas imaginer que « What Kinda Music » soit décevant. Il se situe parfaitement dans ce que chacun des musiciens pouvaient produire dans le cadre de la collaboration. Ils l’ont joué collectif et ont conçu le disque pour notre écoute. C’est à dire qu’ils n’ont pas cherché à produire des jams interminables trop alambiqués. Non, on arrive facilement à ressentir leur plaisir à jouer ensemble tout en prenant notre pied. La relation se veut durable apparemment et on en jubile déjà.
Mais Tom Misch et Yussef Dayes restent des musiciens et le vrai intérêt sera de les voir se libérer sur scène. Ils devaient d’ailleurs se produire à Paris début mai. Le concert est reporté au 27 septembre toujours au Cabaret Sauvage. Même si les tournées à l’étranger étaient au cœur de la séparation de Yussef Kamaal, il semblerait que Yussef Dayes ait enfin trouver le bon équipier. De bonne augure pour septembre. Prenez vos places !
Quant à l’album « What Kinda Music », vous pouvez le trouver dans toutes les bonnes crémeries.
TRACKLISTING :
01. What Kinda Music
02. Festival
03. Nightrider (feat. Freddie Gibbs)
04. Tidal Wave
05. Sensasionnal
06. The Real
07. Loft Off (feat. Rocco Palladino)
08. I Did It For You
09. Last 100
10. Kyiv
11. Julie Mangos
12. Storm Before The Calm (feat. Kaidi Akinnibi)
Beyond The Groove / Blue Note – Avril 2020