« RAP ALBUM TWO » DE JONWAYNE : BOIRE ET DÉBOIRES

Il s’est beau (un peu) coupé les cheveux, rien n’y fera, Jonwayne ressemblera toujours à un geek fan de métal. Mais il n’en reste pas moins l’un des rappeurs les plus inspirés de ces dernières années avec une singularité qui avait sauté aux oreilles de Low End Theory, puis du label Stones Throw chez qui il avait réalisé son premier album rap vocal « Rap Album One » en 2013. Une singularité que l’artiste reconnait volontiers et qu’il cultiverait presque d’une manière assumée.

Mais Jonwayne n’a que faire des codes du hip hop, il a d’autres chats à fouetter. Ou plutôt des choses à régler. En effet, si on ne l’avait pas entendu pendant une longue période avant l’année dernière, c’est qu’il avait du se battre contre un vieux démon : l’alcoolisme (à l’instar d’un Red Pill du coté de Detroit). On l’avait appris notamment via une publication sur sa page Facebook datant de décembre dernier. Une lettre ouverte à tous racontant les raisons de son exile du monde pour guérir et protéger les autres. Il expliquait aussi que s’il n’avait pas annulé plusieurs dates de sa dernière tournée d’été, il ne serait plus de ce monde. Un témoignage poignant sur sa longue descente aux enfers qu’il pensait contrôler toutes ces années et qui avait atteint son paroxysme en 2014. Finalement, ce sera avec l’aide de sa famille et sa passion pour la musique qu’il redevint sobre. Là est donc le contexte (et son fil conducteur) de la sortie de son nouvel album « Rap Album Two » disponible depuis le 17 février, cette fois-ci chez Authors et The Order Label.

 

 

Après un tel témoignage, il fallait soigner son entrée, rassurer les fans et montrer que le rappeur était bien de retour malgré tout. C’est le morceau « Out of Sight » qui fît le boulot. Une introduction à l’album en guise de rédemption à propos de son isolement qui lui a valu de couper les ponts avec certaines personnes de son entourage. Le mal est fait mais Jonwayne laisse bailler la porte d’une éventuelle reconnexion.

 

 

Bien sûr, le son de Jonwayne ne nous a jamais fait transpirer sur le dancefloor. Mais force est de constater que la musicalité de « Rap Album Two » est moins luxuriante que son prédécesseur. On pourrait même dire qu’elle est plutôt minimaliste avec en majorité de boucles accompagnées tantôt d’un piano mélancolique, tantôt de cordes lancinantes, tantôt d’une harpe, tantôt d’un sanza ou piano à pouces. On note là l’état d’esprit de l’artiste au lendemain d’une cuite autant au sens propre que figuré. C’est clair, on ne sonne jamais du clairon quand on sort de moments difficiles. Le rappeur n’en est pas pour autant léthargique. Il avait juste des choses à dire, à expliquer, à justifier.

Tout d’abord, le disque est le fruit d’un art qui fût pour lui salvateur, vital à sa renaissance à la fois humaine et artistique. Il l’exprime sur « These Words Are Everything » où il met en exergue l’importance des mots dans sa vie depuis son plus jeune âge (6 ans en 1996) jusqu’à maintenant (2016 en réalité) en passant par la date charnière de la disparition de J Dilla (2006). Un triple 6 qu’il a su déjouer jusque là en somme, jusqu’à sa mort au delà de laquelle ne resteront que ses écrits.

 

 

De sa mort, il en est question sur « Blue Green » qui décrit les raisons pour lesquelles il avait annulé la fin de sa tournée d’été de l’année dernière. Le morceau reprend quasiment une partie de sa lettre ouverte de décembre. Le titre relate sa consommation de whisky pour notamment combler sa peur frénétique de l’avion. Un cercle vicieux dans lequel il s’est perdu, voyant sa propre mort se refléter dans le miroir une nuit de souffrance de 2014.

 

 

Sur « Paper », le Californien va plus loin et envisage son après – mort. A travers une belle poésie, il s’imagine devenir arbre, puis papier pour que les enfants y lisent à haute voix. Il est question ici encore une fois d’héritage par les écrits, la trace qu’un artiste comme lui pourrait laisser aux générations suivantes. On apprend dans d’autres morceaux qu’il voue un amour fou à son neveu, lui qui n’a pas encore d’enfants. On est plus dans l’idée de passage de témoin que d’une quelconque vanité d’être considéré post-mortem.

 

 

Ce qui est certain, c’est que Jonwayne est bien conscient de ce qui lui est arrivé. Son introspection est d’une lucidité déconcertante. C’est généralement l’apanage des gens intelligents et créatifs. Jusqu’à son exile pré-album, il s’était toujours sevré à la musique par ses propres moyens, tant bien que mal. Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus. L’isolement a pour résultat potentiel la peur, la peur de soi. Son reflet mortuaire a fini par le ronger mais le faire réagir. Dans « Afraid of Us », les solutions sont au bout des lèvres et le rappeur demande à se faire aider pour entrevoir la lumière. Le chantonnement de Zeroh (qui était déjà apparu sur le premier volume) fait figure de lamentations. De loin notre morceau préféré.

 

 

C’est clair, l’ambiance de « Rap Album Two » est lourde. Elle secouerait les tripes de toute personne rongée par toutes sortes d’addictions. On sent aisément tout le poids de chaque ligne de texte. On ne peut que saluer la force dont a fait preuve Jonwayne pour vaincre ses démons et pour se remettre en scène. Mais la bataille n’est pas finie et il continuera à prendre l’avion ne serait – ce que pour ces tournées à venir, dont celle du moment. En attendant, on a affaire à sa meilleure réalisation car elle vient presque d’outre-tombe.

 

L’album « Rap Album Two » est disponible partout et particulièrement sur le Bandcamp de Authors.

 

TRACKLISTING :

01. TED Talk
02. LIVE From The Fuck You
03. Human Condition
04. Out of Sight
05. The Single
06. Paper (feat. Shango)
07. City Lights
08. Rainbow (feat. Danny Watts)
09. Afraid of Us (feat. Zeroh)
10. Blue Green (feat. Low Leaf)
11. Hills (feat. Zeroh)
12. These Words Are Everything

Authors Recordings Co / The Order Label – Février 2017