Réputé pour avoir fait sauter le système cognitif de ses auditeurs, comme un brigand s’en prendrait au verrou d’un coffre fort, Venetian Snares se repent des actes de tortures infligés pendant des années au sein de Poemss. Toujours insoluble, Aaron Funk a trouvé en sa nouvelle partenaire Joanne Pollock (au nom connoté arty tout à fait de circonstances) une traductrice pour le reste du monde. Un premier album où l’on déguise l’absurde en synth-pop.
« I hereby present you with this hair follicle of an ancient pony, who was once known to save children in distress.” Une introduction qui n’annonce pas la température mais tout le climat de l’album.
Parmi tout ce que l’électronique peut compter comme faux-cinglés, Aaron Funk, époque Venetian Snares, était de ceux à produire comme on marche sur la tête. Des titres éparpillés que l’esprit humain pouvait difficilement reconstituer, et qui assirent Funk dans la marge de la marge, le genre à déranger les genres, voire se dégenrer spontanément. Aaron Funk n’obéissait à aucune règle, aucun code et même ceux qu’il bâtissait s’évaporaient immédiatement après usage. Rien d’étonnant donc à le retrouver, sur le label de Mike Paradinas – réputé pour en avoir comme des melons – ainsi qu’à contre-emploi dans la pop. Si Funk doit se conformer à des codes gravés dans la roche, ça sera dans le rôle du lierre qui pousse autour. Maintenant conjoint de Joanne Pollock – compatriote parfaitement inconnue – Funk envisage la pop comme de l’Art moderne. Le mot n’est pas trop fort, puisque nous avons affaire ici à de l’art d’idée, de processus; et puis à éponger ses rêves pour les essorer dans sa musique, Poemss cite de manière très bavarde le mouvement surréaliste.
C’est pas du Magritte en pop clavière non plus mais on tient un air de famille. Chez Poemss, il est question de féérie freak, de sensualité bizarre. Ici, on tient dix berceuses sordides et autant de terres fertiles pour laisser fleurir un malaise cultivé avec des harmonies volontairement faussées. C’est synthétique et humide, impénétrable et nuageux et ça inscrit constamment dans son cahier des charges que l’humain doit être abstrait et que l’abstrait doit avoir visage humain. Finalement, on a ici dix productions diplopiques, où l’on voit double, gardant un œil sur la pop et l’autre sur l’absurde. En gros, si l’on souhaite aborder une théorie du genre ici, Poemss n’en a pas. Il est in-genré, il choisit de ne pas choisir. La pop ici n’est qu’un prétexte ou un médium pour dessiner ses rêves.
Poemss n’est pas un album que l’on chantera sous la douche, tant mieux d’ailleurs, mais ça demeurera comme une belle épreuve de songwritting surréaliste. Un plaisir quelque peu écaillé par un jusque-boutisme un peu mollasson et une folie en carton-pâte qui pêche parfois par manque de grandiloquence. Une folie feinte mais une vraie fièvre.
Poemss Poemss / Sorti chez Planet Mu