Il semblerait que chez Ninja Tune on aime les grands bâtisseurs et/ou les urbanistes illuminés, après la Vapor City de Machinedrum, c’est le Ghettoville d’Actress dont nous découvrons les plans. Quatrième album et dernier album en tant qu’Actress, Ghettoville est donc une ville de départ, doublée d’une lettre d’adieu où c’est le sous-texte qui donne de la lecture pour l’hiver.
Vous ne la trouverez pas dans le guide du Routard, ce n’est pas un coin pittoresque, cette Ghettoville est un bled qui porte simplement son nom. Toujours à la recherche d’un nouvel Ouest dans l’électronique, Actress esquisse en chemin ses propres plans d’une bourgade asphyxiée, anxiogène, enclavée, et dont le son dense et comprimé, fait que ses grandes artères oppressent autant que l’étroitesse de ses ruelles. On le saisit très vite, Ghettoville a les qualités de ses défauts, Actress calque la forme sur le fond, appelant sa ville à être aussi peu pénétrable que l’album dont elle porte le nom.
Mais si ghetto il y a sur cet album, c’est aussi parce que son auteur est muré dans une autarcie intellectuelle et esthétique. Par instant absorbé par sa propre ambition, à vouloir réinventer/redéfinir son langage, Actress devient parfois prisonnier de sa cryptique et joue à un jeu dont lui seul comprend les règles. Evidemment, il est toujours plus délicat d’être éloquent lorsque l’on fait preuve de tant de rigueur, de retenue et de maîtrise mais d’un autre côté, c’est d’Actress dont il s’agit ici et pas une fois il n’a fallu rentrer dans un de ses disques sans forcer la porte. Donc envoyez le pied de biche, on passe à l’autopsie.
Actress – Our from NIC on Vimeo.
Depuis de ses débuts, si la musique d’Actress a une âme, elle damnée et condamnée à errer. Quelque chose flotte dans les arcanes de Ghettoville, bourgade hantée où se croisent un peu hagards l’ambient opaque de Burial et les vieux sages de la techno côté Detroit, type Juan Atkins. Tout l’album est matelassé d’une micro house, bichromée, qui se devine plus qu’elle ne s’écoute, taillée dans le vaporeux, rythmée par pouls, sculptée dans une matière à tâter, avançant à tâtons. Actress aime l’abstraction à l’intensité larvée, vouée à ne jamais éclore et c’est ce délicieux cliffhanger permanent qui tient l’auditeur captif dans ce Ghettoville. Mais lorsque l’on parle d’une techno aussi lascive et indolente que celle d’Actress, la frontière entre le charme et le soporifique est poreuse.
Du R&B concrète, voilà comment était habillé (en taille réduite) par la presse Actress à l’époque d’Hazyville. Cunningham s’est, depuis, taillé une tout autre envergure, celle d’une boite à idées format armoire à glace. Un Hazyville (son premier album) auquel il a d’ailleurs choisi d’écrire un pendant, composé un diptyque avec ce Ghettoville, histoire de boucler la boucle avant les adieux. Un départ maitrisé et d’une propreté clinique symbolique de toute sa carrière en tant qu’Actress.