Tim Hecker « Virgins »

 

Du drone ? Plus maintenant ? De l’ambient ? Si on veut. De l’avant-garde ? Le terme est tellement suranné que l’on n’est plus certain de son sens. Parmi les cases réconfortantes dans lesquelles nous souhaiterions ranger Hecker, nulle part il ne trouve sa place. Informe, difforme, simplement hors-norme, Hecker continue à construire son ailleurs en musique en repoussant systématiquement son point de fuite. Véritable boite à idées sur pattes, sur ce septième album, Hecker cherche un écho à sa propre mystique dans l’imagerie religieuse. Et le miracle a lieu, évidemment.

 

S’il y en a bon nombre que Tim écœure (hohoho) depuis ses débuts, force est d’admettre que le nom de son premier album Haunt Me, Haunt Me, Do It Again lui colle encore au derrière comme une ombre malveillante. Pas un de ses albums ne s’est produit sans qu’il puisse se défaire de ce qui le hante. D’ailleurs, il pourrait titrer un album Paranormal Activity, on y trouverait du sens. Déjà, parce que les productions d’Hecker sont habitées. SAu temps de Ravedeath 1972 – où il mettait en musique son artwork (une photo d’un piano jeté depuis un toit) – on distinguait des spectres, on voyait leurs silhouettes s’animer dans ses errances et le brouillard du drone. Aujourd’hui, cette même présence spectrale communique. Comme si Hecker n’était plus seul maître à bord, il y a une présence invisible qui perturbe ses productions, parlent à sa place, l’orientent. Peut-être quelque chose de plus grand que lui. Quelque chose de céleste, voire de divin. On y arrive.

De son artwork à la tracklist, dans son sous-texte autant que dans l’écho des titres, ici tout évoque la mystique religieuse. Tout l’ésotérisme d’Hecker semble se fondre en celle-ci comme si depuis tout ce temps elle attendait de trouver sa place. La raison à ça est simple : Hecker a choisi de retourner à l’église de Reykjavík où il avait enregistré Ravedeath. Cette fois-ci, Hecker n’est pas seulement en quête d’une certaine acoustique, il a souhaité s’imprégner du lieu, jusqu’à réaliser une série de field recordings sur place pour la suite les utiliser en sculpture. Et à laisser vivre ses sons dans cet espace, ils ont épongé jusqu’à son âme.

C’est en ça que son drone fait de poussière et de d’éclats de débris est devenu un halo de lumière dans lequel flotte les notes de piano. C’est la grande réincarnation d’Hecker. Cette fois-ci, il n’utilise par la force pour créer le sentiment mais il use du sentiment pour donner de la force. Débarrassé de la matière rugueuse de Ravedeath, Virgins honore son nom en portant la pureté (même écaillée) et l’organique sur un piédestal. En somme, il a renforcé et humanisé l’ADN de sa musique en l’épurant. Et c’est en ce sens que l’on retrouve aujourd’hui Hecker installé chez les Reich, ou Glass – ou n’importe qui s’étant un jour posé devant un piano ou synthé avec l’ambition d’inventer un huitième jour à la musique – plutôt que dans l’entreprise de déco d’intérieur d’un Fennesz et son travail en couche, surcouche et sous-couche (sismique).

Hecker n’est évidemment pas le premier à utiliser les textes saints pour bâtir une grande œuvre mais le domaine reste néanmoins une zone de confort inédite pour un Hecker qui trouve en ce sujet intemporel un reflet à sa matière hors-du-temps. Bon, Virgins n’est pas encore une Pieta et puisque très abstrait et en proie à l’émotion brute, il aurait fallu une trajectoire narrative à cet album pour éviter qu’il ne s’empêtre parfois dans le confus. On chipote, mais ce septième album reste lumineux. Bien qu’il manque de clarté. Peu importe, Hecker a allumé la lumière (divine) dans son œuvre et force est d’admettre qu’on ne peut être qu’ébloui.

 Tim Hecker Virgins / Sorti le 21 octobre chez Kranky