Danny Brown « Old »

Consistant, original, chiadé, le premier album officiel du rappeur de Detroit confirme tous, tous, tous les espoirs placés en lui.

On pourrait le prendre pour un jeunot, mais du newcomer Danny Brown n’a que la dalle et la fraîcheur. Des années à traîner ses grolles de dealer dans les rues désolées de Detroit, des débuts dans le rap en 2003 interrompus par un séjour en prison : dire que celui né Daniel Sewell, 32 ans, a du vécu, relève de l’euphémisme. Son LP XXX, acclamé en 2011 par la critique et le public, nous laissait sur le seuil de son univers fait d’orgies de seringues et de Molly, de sexe crade et de bitures dans les rues glaciales de Motor City. Un univers où la désespérance apparaît déformée par un cul de bouteille, un cul de joint ou un cul de groupie. On sait que Brown sort d’un creuset bouillant qui donne régulièrement au hip-hop des figures de premier plan : Slum Village, Guilty Simpson, Black Milk, J Dilla, Royce Da 5’9’’, Big Sean, Apollo Brown, et bien sûr la divinité Eminem. Mais rien ne préparait le grand public à accueillir un dingo aussi juvénile et original que lui.

Avec sa silhouette dégingandée, son sourire troué, son crâne à moitié rasé, son timbre de voix clownesque et sa garde-robe atypique, Brown tranche radicalement avec ses pairs. Ses jeans slim et sa dégaine décalée, fruits d’une mue intervenue à la fin des années 2000, lui ont probablement valu quelques revers (50 Cent ne l’a pas signé car son image, en termes de marketing, ne correspondait pas à celle plus conventionnelle de G-Unit). Mais merde, cette fois c’est bon, on est en 2013, Danny Brown est signé sur Fool’s Gold (Just Blaze, Crookers, A-Trak, Kavinsky, Run The Jewels), fait la une des magazines, rappe aux côtés de la crème et se fait sucer en plein concert ! Et cette fois-ci on le tient, ce premier album officiel, ce Old, première pierre d’une carrière aux fondations bien ancrées.

Consommée ou vendue, festive ou mortifère, la drogue est le fil rouge de l’album, construit en montées d’acide, pics, bad trips, redescentes, gueules de bois. Les cuites effrénées avec Schoolboy Q, Ab-Soul ou ASAP Rocky (« Dope Fiend Rental », « Way Up Here », « Kush Coma ») partagent la tracklist avec le récit de la misère des marginaux de Detroit. Avec ses morceaux déchirés au grime et au dubstep, ses collabs avec Charlie XCX et Scrufizzer, on pourrait prendre Brown pour la nouvelle sensation d’outre-Manche venue prendre la couronne de Dizzee Rascal – une partie de l’album a été enregistrée au Royaume-Uni. A-Trak, SKYWLKR, Rustie et BADBADNOTGOOD offrent au rappeur un écrin sonore de luxe, entre hip-hop et électro, où ce dernier évolue comme un poisson dans l’eau. « 25 Bucks », tune explosive où il mêle son flow aux basses de trois tonnes et aux refrains fluets du duo electro-pop Purity Ring, est un bel exemple de fusion des genres réussie. Danny Brown, avec son humour caustique, son timbre de voix mi-pervers mi-rockstar, et son namedropping expert de narcotiques, donne un cachet unique aux morceaux festifs de l’album.

Mais l’hédonisme décérébré n’est que le vernis de l’horreur, comme si pour rester sain mentalement dans l’enfer de Motor City, il fallait devenir schizophrène. Et les moments de lucidité ne sont pas jolis à voir. Des crackheads assassinés à coups de marteaux, des coups de feu qui résonnent comme les pétards le 14 juillet, partout la violence et l’addiction. Dark et psychédélique, parsemé de récits de rue photoréalistes, le Detroit de Old est l’équivalent du Baltimore de The Wire sous LSD. Pharrell Williams et Oh No apportent leur expertise sur les morceaux plus durs, plus hip-hop comme « The Return » (épaulé par Freddie Gibbs) ou l’horrifique « Torture ». Sur plusieurs titres, le rappeur délaisse également son costume de satyre déglingo pour faire le récit des blessures et de la solitude laissée par une vie d’excès. Un registre intimiste, moins présent sur XXX, dans lequel l’artiste excelle. « Clean Up » et « Lonely », les deux morceaux les plus personnels, font partie des meilleurs titres d’un album de très haut niveau.

On ne va pas tourner autour du pot, Old est un sans-faute, une réussite totale. Junkie, dionysiaque, intime, festif, hardcore, Danny Brown est un authentique punk du rap possédé par le fantôme d’Ol Dirty Bastard, doté d’une sensibilité et d’un humour qui le rendent immédiatement attachant – sans oublier une technique et un flow impeccables. Old se montre à la hauteur des attentes et impose immédiatement son auteur comme l’un des piliers de la nouvelle génération du rap jeu. Put your hands up for Detroit !

François Oulac

Danny Brown Old / Sorti le 8 octobre sur Fool’s Gold

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