Drake « Nothing Was The Same »

Le troisième album du Caliméro du rap game atteint de nouveaux sommets de sophistication et ce n’est pas pour nous déplaire.

Jay Z le dieu omnipotent, Kanye West le génie complètement dingue. Qui d’autre sinon ? Ils se comptent sur les doigts de Jamel Debbouze aujourd’hui, les rappeurs comme Drake, dont les sorties d’album constituent à la fois un événement et une curiosité presque extra-musicale pour le public. La singularité de Drake vient sûrement de sa personnalité toute en contradictions et à rebours des codes traditionnels du rap. Entre ses pleurnicheries à l’eau de rose, son goût de l’autocélébration arrogante et ses menaces de gangster en carton-pâte, Aubrey Graham se glisse souvent dans des costumes trop grands – ou trop moulants – pour lui. Ajoutons à cela une absence totale de street cred (coucou Degrassi), une voix de canard et un sourire de Roudoudou, et on comprendra que le MC de Toronto soit une cible mouvante pour les haters au point d’éclipser parfois son indéniable talent artistique.

Nothing Was The Same n’a pas dérogé à la règle : les premiers extraits ont suscité un véritable engouement sur le Web, mais on n’a pas manqué de se foutre de la jaquette de l’album, dévoilée quelques semaines avant sa sortie. Sur le visuel, un Drake enfant, sosie du bambin de Ready To Die de Notorious Big, faisant face à sa version adulte. Introspection. Evolution. Les obsessions de Take Care n’ont pas changé, mais le message, lui, s’est affiné : quand sur « Headlines« , Drake parlait de faire supprimer ses ennemis et de rester seul avec ses millions, le puissant et minimaliste « Started From The Bottom » (produit par Boi-1-da) se calme sur les bravades et évoque une réussite acquise à force de travail et d’abnégation. Y’a du mieux, même si on se demande parfois quelle dent peut bien avoir Drizzy contre ceux qui doutèrent de lui par le passé (« Pound Cake / Paris Morton Music« , avec Jay Z).

Il y a le Drake battant et le Drake intime. Mais oui, vous savez, le Drake de « Marvin’s Room« , à la vulnérabilité assumée, qui téléphone à ses ex quand il est bourré ? Le plus humain finalement. Ce Drake-là ne s’arrange pas sur Nothing Was The Same, qui compte encore plus de pistes doucereuses que son prédécesseur (« Wu-Tang Forever« , « Own It« …). C’est aussi ce Drake-là qui livre les plus beaux morceaux de bravoure de l’album, avec en tête l’improbable tube « Hold On, We’re Going Home« , ballade eighties plus sirupeuse que toute la discographie des Boyz II Men. A la production, Noah « 40 » Shebib, indéfectible producteur de Drizzy, qui donne à ses albums ces sonorités mi-r’n’b mi-cloud rap, vraiment à part dans le hip-hop grand public. L’architecte est crédité sur quasiment toutes les pistes dont le bijou « From Time », co-produit par Chilly Gonzales. La relation aux parents, les difficultés de communication au sein d’un couple, la peur de l’engagement, la quête de sens au sein d’un mode de vie matérialiste : en deux couplets parfaitement maîtrisés, Drake se fait le chirurgien d’émotions si courantes et pourtant si complexes… le tout sublimé par la voix de Jhené Aiko, rompue aux récits intimistes et torturés.

Nothing Was The Same est sans aucun doute le meilleur album de Drake. Les productions aériennes de « 40 » gagnent en cohérence, les invités sont moins nombreux mais aussi moins accessoires ; surtout, l’artiste y développe et enrichit son personnage d’anti-héros du rap game. Sa capacité à jouer avec les normes du hip-hop et de proposer une musique à la fois accessible et personnelle s’affirme un peu plus sur cet effort. Deux qualités difficiles à allier dans le paysage rap d’aujourd’hui…

François Oulac

Drake « Nothing Was The Same » / Sorti le 23 septembre sur Cash Money Records 

Drake-salute