C’est juste une impression ou le vétéran de Memphis a rajeuni avec Stay Trippy ?
Alors ça y est, depuis qu’il roule avec Wiz Khalifa et que tout le monde pompe le son d’Atlanta, Juicy J ne se sent plus. Et il a sûrement raison, vu sa notoriété nouvellement acquise après la fin de l’équipée Three 6 Mafia en 2008. Pendant que DJ Paul vend des sauces barbecue et que Crunchy Black retourne à la violence du ghetto, notre trublion montre ses grillz sur tous les remixes à la mode et fraie avec la crème du rap jeu. Sa dernière mixtape Blue Dream And Lean, qui invitait un tas de rookies talentueux, donnait déjà le ton : l’heure est à la reconversion. « Stay Trippy » est peut-être le troisième effort solo de Juicy, mais c’est bien le premier album de sa nouvelle vie.
La recette du Juicy J nouveau est simple. On reprend les ingrédients de Three 6 Mafia (rap hardcore et défoulant à souhait sur prods assourdissantes) menos les bruits de cloches funèbres et les lyrics sataniques. Restent des hymnes festifs en grande majorité (« Having Sex« , « Bounce It« , le mégatube « Bandz A Make Her Dance« ), avec un Juicy J très efficace dans son job d’hédoniste en chef. Débit marteau et métronomique, gimmicks ridiculement accrocheurs, l’homme de Memphis fait ça les yeux fermés. Et quand on y pense, peu de rappeurs sont capables comme lui de faire rimer « I’ma fuck me a model » avec « I’ma fuck me a model » tout en restant écoutables (« Stop It« )…
Ce qui est drôle dans ces retrouvailles avec le succès, c’est que c’est le mainstream qui est venu à Juicy J et pas le contraire. Le son ultrapopulaire des clubs et des radios, porté par des artistes comme 2 Chainz ou Young Jeezy, est proche de ce qu’a fait Three 6 Mafia durant des années. Juicy J n’a donc pas eu à se fouler pour s’installer sur des instrus signées Mike Will Made It ou Lex Luger. La pléthore d’invités est clinquante (2 Chainz, Big Sean, Lil Wayne, Wale, Chris Brown, The Weeknd, ASAP Rocky…) et n’évite pas la faute de goût (« The Woods » avec Timbaland et Timberlake, vraiment cheesy), mais reste globalement très cohérente. Seules réminiscences de l’époque Three 6, le fantôme de Pimp C sur « Smokin Rollin », le violent « No Heart No Love » qui convie le grand frère Project Pat, et surtout la boucle lugubre de « Gun Plus A Mask », sur laquelle on s’attendrait presque à entendre DJ Paul débarquer en force (on aura droit à un couplet de Yelawolf à la place).
Certains se demandent s’ils se voient encore rapper à 40 ans. A cet âge, Juicy J se demande juste dans quel strip-club il va claquer l’équivalent de ton PEL, et ça marche plutôt bien. « Stay Trippy » est un album bourré d’énergie et soigneusement produit. Le pionner de Memphis réussit avec brio son premier pas vers le grand public sans trop compromettre son identité. Juicy J est mort, vive Juicy J !
François Oulac
Juicy J Stay Trippy / Sorti le 27 aout 2013 chez Sony