Earl Sweatshirt « Doris »

Les crew de rappeurs, c’est un peu comme les boys band : les virées solitaires des membres du groupe entre albums solos et autres projets artistiques sont tout autant de portes ouvertes sur la médiocrité et l’oubli. En sortant son album de r’n’b à grand renfort de promo fondé sur un storytelling aussi touchant que bien ficelé, Frank Ocean s’est assuré une distinction bien méritée du reste du collectif OFWGKTA. L’esprit d’Odd Future, lui, ayant déjà fait ses preuves avec deux mixtape et deux albums, le collectif californien pouvait-il être assez bon pour produire trois virtuoses du hip-hop ?

Franck Ocean et son Channel Orange adoubé par les 131, 000 copies vendues la première semaine de la sortie de l’album et les classements en tête des charts anglo saxon des deux albums de Tyler the Creator qu’espérer d’Earl Sweatshirt et de son premier album Doris ? On peut encore se méfier des chiffres et targuer ces jeunes rappeurs californiens de petits rigolos tout juste capables de faire rimer absurdités et blagues potaches : un collectif de gamins, vulgaires, sans intérêt. Et si Tyler the Creator continue à porter le flambeau du rap potache jusque sur l’album Wolf sorti en avril dernier, le choix des instrumentaux et son flot restent si efficaces qu’on écoute cet album d’une traite, avec le sourire et sans se poser de question – puisqu’on ne parle pas l’américain.

Il en va autrement de Doris. Avec cet album, Earl Sweatshirt, nous joue le coup du « back to basics », « retour aux sources » et se prend pour un MC à l’ancienne. À la première écoute de Doris, on entend toujours ces grosses basses lourdes et glauques qui laissent comme une sensation de souillure au fond de l’oreille. Ces morceaux bourrés de punchline étranges et sexuellement explicites qui font la particularité du Wolf Gang. Car il n’est pas question d’émancipation pour le rappeur à peine âgé de 20 ans, c’est plutôt un road trip un peu louche où chaque arrêt est une visite à membre de OFGKTA. Frank Ocean, Tyler, Vince Staples- apparu sur les albums d’Odd Future, Domo Genesis signé sur le label Odd Future sont présents sur l’album d’Earl. Parmi les 15 titres de Doris, seuls trois d’entre eux ne comportent pas de featuring.

S’ajoute à la liste des habitués d’Odd Future les noms de RZA (Wu-Tang) et de Mac Miller. Sweatshirt essayerait-il de relever le niveau à coups de collaborations ? Sans doute. Le fait est que le petit génie d’Odd Future n’en a pas réellement besoin. On compte parmi les meilleurs morceaux de l’album, le titre, sans featuring, Chum qui nous rappelle un rap d’une époque qu’Earl Sweatshirt n’a pas vraiment connu, les années 90. Tout en restant dans la bizarreté et les punchjokes d’Odd Future, Earl Sweatshirts impose un album de rap aux croisements avec la sincérité d’un album pop (Chum), la hype d’OFGKTA (Hive) et un rap classique mais toujours aussi efficace (Molasses). Il n’y a plus qu’à espérer que la petite  virée d’Earl soit aussi fructueuse que celle d’un certain Justin il y a maintenant 12 ans. Parce qu’on sait bien qu’outre la distinction, ces petits écarts solitaires sont tout autant de portes ouvertes vers une carrière solo florissante.

Esther Degbe

Earl Sweatshirt Doris / Sorti le 26 aout chez Columbia

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