Personne n’est certain de ce qu’elle parvient encore à distinguer sur un plan auditif mais un jour sa Majesté la Reine Elizabeth II écouta du Fuck Buttons. Placidement, comme si c’était sa réplique de cire que l’on avait posé là. Après quelques décénnies de règne, Sa Majesté est endurante. La scène se déroule lors de la cérémonie d’ouverture des J.O de Londres, toute la fine fleur (et même la plus fanée) de la pop anglaise va de son tour sur le manège à playback pour l’épate mais au milieu de tout ce gourbi, un titre retient notre attention. Il s’agit d’Olympians, drone au cœur vaillant recueillant tous les critères athlétiques pour ouvrir une telle cérémonie.
Ceux qui, à l’écoute des précédents albums de Fuck Buttons, ont poussé le volume au delà de la limite humaine le savent : outre une descente de flic, c’est une descente d’organe que vous risquez. Idem (voire pire) en live. C’est à dire qu’un bon concert de Fuck Buttons peut se mesurer sur l’échelle de Richter, la légende voulant même que les anglais jouent à une fréquence capable de buter un dauphin à distance (on entend d’ailleurs certains se débattre sur Brainfreeze). Oui, le drone de Fuck Buttons était une expérience physique intense, brutale montagne russe comme montagne de marbre qu’aujourd’hui le duo a choisi de sculpter. Que l’on se rassure, il y a toujours matière à molester des dauphins.
Et justement, tant que Georges Pernoux est dans les parages, profitons-en pour filer la métaphore marine. Si sur les deux prédécesseurs, Fuck Buttons, tenancier de manèges stellaires, organisait des rodéos d’astéroïdes en slow motion, Slow Focus propose une plongée céleste, un Grand Bleu astral (c’est pour toi ça Georges) interdit aux femmes enceintes et aux personnes âgées (donc on y va doucement Georges). Le groupe, quant à lui, voit la chose sous son aspect le plus ophtalmique : « Slow Focus est né du sentiment que l’on ressent au moment où les yeux ont besoin de se réajuster au réveil et qu’ils réalisent que vous êtes dans un endroit inapproprié et peu accueillant« . Un album à écouter de la pupille, proche des préoccupations d’Alain Afflelou. Bien entendu si l’objet est différent, c’est que le geste a changé. Chose inaltérable chez les Buttons : comme dans l’armée américaine, chez eux, le drone est toujours employé à chaque mission. Chaque titre reste gravé dans la noise mais on parvient aujourd’hui à distinguer un amour du hip hop (The Red Wing) – voire simplement de J Dilla – longtemps conservé enfouie. Au drone à peu près aussi opaque et vaporeux qu’un gaz sarin, Fuck Buttons a offert une colonne vertébrale. Un squelette affirmé cernant la nébuleuse d’autrefois et gonflant la musculature de Slow Focus.
Non pas dégouté par la collaboration avec Weatherall mais décidé à voler de ses propres ailes (de Falcon) Fuck Buttons travaille désormais sans producteur. Une volonté de produire sans filet (selon leurs dires), leur laissant tout le loisir de se jeter dans le vide. Et nous avec. D’ailleurs, Slow Focus est guidé par l’abandon. Une chute libre contrôlée et voulue issu d’un jeu sur la profondeur, l’espace et la gravité qui perturbe les sens. Avec Fuck Buttons, on ne sait jamais si on est percuté ou aspiré. Probablement les deux. Quoi qu’il en soit, dans Slow Focus, personne ne vous entendra crier. La reine pourra confirmer.
Fuck Buttons Slow Focus / Sortie le 22 Juillet 2013 chez ATP Recordings