Après sept ans de calme, quel genre de tempête peut-on espérer ? Celle qui arrive sans vacarme, un éclair lointain et silencieux qui s’achève en tord-boyaux céleste. Sept ans de réflexion, voilà ce qu’il a fallu à James Holden pour justifier une absence sans lui donner tort. Les avis de disparition ont eu le temps de jaunir mais ça en valait la peine : The Inheritors est la boite noire d’un dramaturge de la techno et d’un homme au raffinement (trop) rare pour la discipline.
Nous l’avions quitté en botaniste de la techno avec The Idiot Are Winning, en 2006, qui, avec le Drowning In A Sea Of Love de Nathan Fake, avait gravé dans le marbre (et quel marbre) le son de Border Community. Un son organique et luxuriant que d’aucuns qualifieront de « tech-prog cheloue » (pourquoi pas) et qui vaudra à Border Community le surnom de Green Party of techno (sous-titre : le parti écolo de la techno). C’est à dire que lui comme Abott ou Fake produisaient de la techno tels des paysagistes, du jardin à l’anglaise en soundscapes sauvages mais maitrisés dans lesquels le chaland aime à flâner à l’ombre des jeunes beats en fleur. Jusqu’à ce que (généralement) cette nature le dévore. La famille Border Community partageait ce même faciès hors-du-commun jusqu’à ce que ce le prog devienne une prison et qu’Holden opte pour le ravalement de façade.
Aujourd’hui si vous parlez de prog à James Holden, son visage se tordra et vous remarquerez clairement dans son regard qu’il entend à nouveau les portes de sa geôle se refermer. Surtout qu’avec The Inheritors, il faut avoir une imagination de fanatique tordu pour radoter autour du prog. D’une richesse à lui imposer l’ISF, The Inheritors n’est plus au stade où il fait trembler les murs, il les abat. Pas (plus) seulement producteur, Holden deviendrait même scénariste de ce deuxième album et par la même occasion un des grands dramaturges de la techno. Inspiré d’un roman d’anticipation de William Golding où il est question de la disparition des derniers Neandertals (tout un symbole), Holden a adapté l’engin en une Walkyrie qui possède son auditeur puis lâche sa ferveur comme des chiens de garde sur un intrus.
De la techno à regarder, The Inheritors n’est pas la Pierre de Rosette du genre. Mais s’il est généralement usage pour le producteur techno de penser ses projets longs comme de grands tissus inséminés d’ambient (Silent Servant, Sandwell District, Polar Inertia…), logique héritage de l’époque Basic Channel, Holden, lui, a opté pour le narratif en insérant du mythe et de la tradition. Il y a dans The Inheritors du folklore celtique proche du céilidh, du rite païen (l’époustouflant The Caterpillar’s Intervention où le solo de saxo de Jaumet est hystérique à craquer sa camisole) ou encore du rituel funéraire comme dans Sky Burial où l’on croirait inhumer un marin des cieux disparu dans les astres. Finalement The Inheritors est hanté par une mythologie reconstituée et irriguée par celle de la Grande-Bretagne. Mais la sève de ce nouvel Holden vient de James le shaman analogique. Ici, c’est tout son amour du rock prog, de l’époque synthétique et acousmatique Française des 70’s (comme Heldon, groupe français des 70’s curieusement anagramme du patronyme de James), voire du kraut allemand type NEU, qui est placé sur l’autel de ce deuxième LP.
Il est coutume de dire que l’on apprécie quelqu’un pour ses qualités mais qu’on l’aime pour ses défauts. C’est ce qui participe grandement à l’amour que l’on peut porter à The Inheritors. Holden a voulu infuser de l’erreur, de l’humain dans un genre où ordinairement la machine ne lui laisse aucune place. Ainsi, après la première phase de composition, James a élaboré un software pour déstabiliser toutes ses fréquences, le forçant à tenir la barre en rejouant ses titres. C’est d’ici que provient le sentiment d’avoir en The Inheritors l’esquif dans la tempête ET la tempête, l’album conjuguant le frêle et la force qui l’emporte.
Holden reste une valeur refuge avec le temps puisque que la seule chose immuable chez lui est le fait d’être en mouvement perpétuel. Qu’Holden prenne à nouveau dix ans si ça lui chante, tant qu’il pond à nouveau un album de cette envergure.