« It’s Gibbs hoe ! » Oooh shit, le revoilà. Amateurs de hip-hop sensible et sensé, bouchez-vous les oreilles. Freddie Gibbs, le porte-flingue de Gary, Indiana (oui, la ville natale de Michael Jackson) dégaine ESGN (Evil Seeds Grow Naturally), son premier album officiel. Cette galette est l’aboutissement d’une longue série de mixtapes de qualité – aussi longue que l’attente des fans pour ce LP. Après écoute, c’est scientifiquement prouvé : Gangsta Gibbs est toujours aussi dangereux et (évidemment) armé.
Qu’il s’agisse de sa vie dans le ghetto de Gary, de ses débuts dans le circuit ou de sa collaboration avortée avec Interscope en 2007, tout est histoire de survie dans le parcours personnel et musical de Freddie Gibbs. De même, son embrouille récente avec Young Jeezy et son label CTE n’est que synonyme d’un nouveau rebond. Quand beaucoup de rimeurs braillent « live fast die young », Gibbs cultive cette obsession de la résilience propre au gangsta rap, jusque dans le titre de ce premier album. Le message classique, « money, cash, hoes » n’a pas changé. C’est dans la forme surtout, qu’il va falloir juger ESGN.
Il y a une chose qui frappe chez Freddie Gibbs, c’est son indifférence éperdue pour les notions d’image ou de marketing. L’artiste ne se refuse aucun beat, aucune collaboration, ce qui lui a toujours permis jusque-là d’offrir un gangsta rap ouvert et réactualisé. Mais après avoir frayé avec J.U.S.T.I.C.E League, Madlib ou T-Minus et embarqué toute une ménagerie de featurings sur ses projets précédents, Gibbs choisit ici un cercle musical restreint, fait de proches (Lil Sodi, G-Wiz, Big Kill), de talents triés sur le volet (BJ The Chicago Kid, Jay Rock, Problem) et autres criminels bien connus des services du hip-hop (coucou Daz Dillinger). Les instrus, pour la plupart, sont signés par d’illustres inconnus. Pas la recette la plus bankable, mais le plus court chemin vers un concentré de realness, l’authenticité que défend Freddie Gibbs par-dessus tout.
Le grain de voix éraillé d’un Scarface mâtiné de la technique des Bone Thugs, additionné à la science du refrain d’un 50 Cent (« 9mm ») et un flow tout-terrain : question emceeing, Freddie Soprano maintient la barre très haut. Cette heureuse équation compense la relative uniformité de l’album, tapissé de prods Lex Lugeriennes synthétiques et menaçantes. Certaines pistes viennent relâcher un peu la pression, notamment « DOPE In My Styrofoam », avec son sample et son ambiance sudiste. Malgré tout, on reste loin de la variété de mixtapes comme Str8 Killa No Filla ou Baby Face Killa, où le bonhomme passait du cloud rap au hip-hop soulful avec une polyvalence insolente.
Les 20 pistes qui composent ESGN réussissent à se succéder en gardant une énergie et une intensité égales. Le projet pourra paraître huslta-gangsta-thug-ghettocentrique, homogène, ou un brin lassant selon les sensibilités, mais en tout cas l’album est intelligemment séquencé et construit.
Par-dessus tout, ce premier LP prouve que les feux de la rampe n’ont pas changé Freddie Gibbs d’un iota. Là où les projets précédents n’hésitaient pas à sinuer vers d’autres univers, ESGN va droit au but. Pas de concession. Pas de quartiers. Pas de prise de risque ? Certes, mais une démonstration de force maîtrisée de bout en bout, débarrassée de toute fioriture et ne laissant voir que l’essentiel. Ce qui n’est pas plus mal, pour un premier album faisant office de carte de visite. Michael Jackson apprécierait l’hommage.
François Oulac