Le travail musical de Scott Herren est fascinant de cohérence et de complexité, et sa méticulosité permet à l?auditeur d?aller de découvertes en découvertes, de pénétrer dans un univers où la forme éclipse totalement le fond. Pour arriver à ses fins, il emploie divers procédés généralement récurrents.
L?utilisation de la stéréo est poussée à son paroxysme, et les ondes sonores tournoient entre les enceintes de manière aléatoire, cette impression étant fortement renforcée lors d?écoutes au casque.
La structure des chansons est souvent homogène, suivant la même démarche déconstruction/reconstruction (radio attack, nuno). La mélodie est très découpée au début avec une précision chirurgicale, puis les syncopes s?espacent et laissent place à une mélodie plus basique, un beat plus carré. Le résultat, loin d?être compliqué et simpliste, est simple et complexe. Ce procédé est d?ailleurs poussé à son paroxysme dans le très pop last night avec Sam Prekop, qui s?achève sur la musique originale d?un des samples du morceau.
Le traitement des voix est lui aussi résolument novateur. Certaines sont identifiables comme Dose One sur untitled, d?autres ne sont que des bribes plus ou moins articulées et décomposées. Beaucoup sont carrément incompréhensibles, et pourtant l?impact des flows est indéniable. Dans back in time, l?auteur explique sa démarche : What I didn?t wanna do was record rappers rapping over a beat, I was a little more looking for something more classic, something that went backwards in time. C?est là tout l? intérêt du travail de Herren : il privilégie l?essence du hiphop, l?originalité et la simplicité, mais aboutit à un résultat avant- gardiste.
On retrouve aussi tous les ingrédients habituels, scratchs, bruits de cellules et autres interférences, mais aussi avec un traitement novateur. Scott Herren reconstitue même des sonorités issues du turntablism avec ses machines, lors de ralentis/accélérés et de breaks déstructurés.
Cerise sur le gâteau, les rares performances de rappers non déconstruites sont d?excellente facture. Sur life death, le flow très technique de Mikah 9 de Freestyle Fellowship s?adapte parfaitement aux évolutions rythmiques, et le titre électro jazzy black list avec Aesop Rock et M F Doom est un des sommets de l? album.
Prefuse 73 a parfois été taxée de collage linéaire par ses rares détracteurs (ceux qui fréquentent le forum 90bpm le savent), il n?en est rien. Evoquant parfois DJ Shadow ou DJ Krush (smile in your face, afternoon love in), elle évolue sans cesse entre organique et électronique. Son univers intimiste ne dévoile pas ses charmes au premier venu, mais récompense l?auditeur persévérant de mélodies évanescentes sublimes.